
ASSOCIATION MAUREPAS ENTRAIDE
Ramata avait déjà une bonne idée de la signification sans connaître les termes exacts (Ateliers Socio-Linguistiques) : « c’est une association pour les personnes qui ne comprennent pas le français ; elles viennent pour apprendre et comprendre ce qui se passe en France, pour savoir comment on parle, comment on écrit ». Il est précisé que les adultes ne sont pas appelés « élèves » mais Apprenants et qu’ils ne vont pas « en classe » mais en Atelier.
Très enthousiaste, Sylviane a répondu que oui, elle aime beaucoup. « Ce métier exige de vraiment aimer ce que l’on fait parce qu’on a un contact avec les étrangers. Il faut bien les accueillir, c’est très important. Et les aimer aussi. Je pense que, quand on aime, on apprend bien. J’ai moi-même vécu à l’étranger et je me suis rendu compte que le français est apprécié à l’étranger. J’ai voulu partager ma culture et ma langue avec les autres. La première chose à faire quand on va dans un pays, c’est d’en apprendre la langue, c’est incontournable ».
Les raisons sont multiples.
Celles de Bernadeth sont : être en capacité de parler et lire en français avec sa fille, communiquer avec l’équipe enseignante et les autres parents et chercher du travail. Elle ajoute : « ma fille veut lire des livres en français mais je ne sais pas comment lui expliquer certains mots. C’est pour ça que j’apprends le français ».
Ramata complète par une réflexion très pertinente : « c’est utile de pouvoir lire les étiquettes des produits que l’on achète, pour éviter les problèmes d’allergie notamment ».
Les enfants pensaient que l’intérêt pour une nouvelle culture est le seul motif.
Si Bernadeth est mariée à un Français, les motifs les plus courants sont autres.
Sylviane précise : « Quelques-uns viennent chercher du travail mais, actuellement, beaucoup de gens quittent leur pays car ils rencontrent des problèmes là -bas : des problèmes politiques, des problèmes familiaux, la guerre ou l’insécurité avec menaces de mort, des problèmes économiques… Ces personnes sont obligées de fuir leur pays. On les appelle des demandeurs d’asile ou des réfugiés : elles demandent la protection de la France.
En majeure partie, ce sont des hommes, en-dessous de 40 ans.
Certains avaient de bonnes situations sociales en Iran, Irak ou Afghanistan : ils ou elles étaient professeur d’histoire, architecte, avocat, journaliste… Quant aux personnes venant d’Afrique, elles connaissaient la plupart du temps des situations de pauvreté.
Tous ont dû tout quitter et connaissent maintenant des conditions de vie difficiles.
Ramata confirme qu’elle a entendu parler de pays où « tout se passait bien, les gens allaient à l’école ; soudain la guerre, tout est détruit. Les gens sont obligés de fuir en bateau ».
Mayssane et Ramata pensaient que c’est comme au CP : ils apprennent d’abord les lettres de A à Z puis les syllabes, les mots et après ils commencent à parler français et à lire le français.
Sylviane explique : « Avec un groupe qui ne parle pas du tout français, je vais insister sur la phonétique. Qu’est-ce que c’est ? Ce sont les sons de la langue. Quand on est enfant, on est habitué à sa langue, le cerveau enregistre les sons. Pour les adultes, le français est une langue étrangère et ils doivent s’habituer à de nouveaux sons.
D’autre part, les adultes ont des besoins différents de ceux des enfants. Les adultes ont besoin de se débrouiller dans la vie. On va donc employer des méthodes actionnelles, c’est-à -dire leur apprendre à se présenter, à savoir inviter, à savoir comment faire chez le médecin, dans l’administration... Ce sont des savoir-faire qui correspondent aux besoins des adultes. En parallèle, on apprend aussi la grammaire, l’orthographe mais on met beaucoup l’accent sur l’oral : l’adulte qui arrive a besoin de savoir parler, de se débrouiller tout de suite pour faire face à ses problèmes d’adulte.
Ramata a conscience que ça prend du temps aux adultes de parler français : ils doivent essayer à plusieurs reprises avant d’y arriver. D’ailleurs, il en est de même pour elles : elles doivent poursuivre leurs apprentissages. Il leur faut du temps pour enregistrer la signification des mots difficiles comme « sociolinguistique » par exemple. Elles doivent « répéter, répéter et répéter jusqu’à ce que ça rentre dans la tête ».
Bernadeth et Fatima ajoutent que « parfois, tu connais une chose mais tu oublies. Il faut répéter et aussi parler à la maison ». La répétition est la clé de la mémorisation.
Ramata reprend : je suis née en France et je connais le français et le bambara qui est la langue de ma mère.
De fait, beaucoup d’enfants inscrits à l’association parlent plusieurs langues : le français et les langues parlées à la maison. Mais il est plus facile d’apprendre le français pour eux que pour leurs mamans : ils vont dans des écoles françaises et ont de nombreuses occasions de parler français avec leurs amis alors que pour les mamans, c’est différent : les occasions de pratiquer le français sont plus rares.
En fait, ce sont des méthodes plutôt basées sur l’oral. On leur apprend d’abord à parler puis à reconnaître les mots et ensuite les lettres dans le mot. Le global et le syllabique sont indissociables mais il faut quand même passer par le syllabique à un moment ou un autre. Ils reconnaissent les mots et parviennent à lire la phrase sans connaître exactement la structure du mot. Dans un second temps, on passe à la syllabe et à la lettre.
Sylviane présente la méthode Macléalpha et explique : on écoute un dialogue, on fait répéter les phrases jusqu’à ce que les Apprenants les mémorisent. Puis on leur donne la transcription et, à force de répétitions, ils arrivent à lire les phrases globalement ligne par ligne. Puis ils reconnaissent les mots (on utilise aussi des étiquettes). Ensuite on travaille la lecture et la reconnaissance des syllabes.
Ramata conclut : « c’est comme au CP ». Nicole précise en effet qu’on associe global et syllabique en primaire. De petits dialogues simples, on progresse vers des textes plus compliqués.
Chaque leçon comprend un arrêt sur ces codes. Par exemple, dans la séquence sur la présentation, on explique l’usage de la bise en France. C’est en effet souvent une surprise pour les arrivants.
A propos de codes socioculturels, Ramata tient à montrer les photos des cartes d’identité et passeports dans le livre et explique qu’en France, « tu dois pouvoir présenter ces documents à un contrôle, sinon tu peux avoir des problèmes ».
Les jeunes filles montrent un vif intérêt à consulter les diverses méthodes.
Elles voient que l’on fait aussi de l’orthographe, de la conjugaison et de la grammaire aux ASL. C’est nécessaire selon Ramata pour pouvoir écrire à la CAF par exemple. En effet, précise Sylviane, en écrivant une lettre, on va aborder la grammaire, le vocabulaire et les codes spécifiques à cette problématique.
Ramata : « il va y avoir des fautes ! »
Sylviane : « justement, en répétant, ils ne vont plus les faire .»
On apprend aussi à comprendre une facture d’eau ou d’électricité. On présente des documents authentiques ou on les cherche sur internet.
La réponse est oui, certaines méthodes abordent les mathématiques. On fait aussi de la géographie.
En fait, on apprend la globalité des savoirs fondamentaux. Certains Apprenants n’ont jamais fait de soustraction ou d’addition. Or, il faut savoir le faire pour se débrouiller au marché et payer par exemple. En géographie, on leur apprend à situer leur pays, se situer dans le monde, situer les pays limitrophes de la France. C’est ce qui rend les ateliers attactifs : on n’apprend pas uniquement le français, mais aussi tout ce qui tourne autour de la culture.
Ramata : « Oui, c’est important quand on est grand de savoir calculer son budget. »
Sylviane : « On fait des jeux de rôle de situations concrètes : à la boulangerie, à la CAF... Au fur et à mesure, ils apprennent les outils tels que les verbes être, avoir ou aimer pour apprendre à parler correctement et se débrouiller. On reproduit une situation concrète plusieurs fois, ça les fait parler. [Pour ceux qui ont besoin d’apprendre à remplir un formulaire, on recherche un maximum de formulaires authentiques afin de les familiariser et automatiser l’action – note du rédacteur]. En fait, la langue est un outil pour arriver à un savoir-faire, ce n’est pas une fin en soi, c’est juste un outil pour faire.
A la question de Bernadeth aux enfants : « en cours d’anglais, la maîtresse donnne-t-elle les consignes en anglais ou en français ? », la réponse est : elles sont données en français et répétées en anglais. On s’interroge donc : à votre avis, en quelle langue donne-t-on les consignes aux ASL ?
La réponse spontanée des plus jeunes est : pas en français. Puis, en réfléchissant, ils comprennent que les intervenants ne parlent pas toutes les langues des Apprenants et que les consignes sont forcément données en français.
Sylviane confirme : les consignes sont un très gros problème. Les premières leçons formalisent les consignes : lisez, écoutez, écrivez, cochez, parlez, répétez… avec des gestes. Je leur fais apprendre ces mots-là . Il faut pouvoir communiquer avec un vocabulaire de base commun à tous.
Les plus grosses difficultés des adultes peuvent être la grammaire, la prononciation, oser parler, écrire…
Parfois, il faut aussi apprendre aux adultes à tenir un crayon, utiliser un cahier, écrire sur les lignes. Ramata renchérit : « c’est comme au CP, on apprend à tenir une feuille, une gomme, une règle ».
Ramata : « Les devoirs sont utiles pour réviser ».
Bernadeth et Fatima : « C’est important d’avoir des devoirs et de les faire à la maison, ça permet de mémoriser. S’il n’y a pas de devoirs, on risque d’oublier dès la fin de l’atelier ».
Sylviane ajoute : «Certains Apprenants sont demandeurs de devoirs, d’autres manquent de temps [ou de bonnes conditions] pour les faire. A l’intervenant de s’adapter. »
L’avis des enseignantes de métier : « Les devoirs sont importants pour réviser mais le travail oral fait en classe est le plus important. Les devoirs permettent d’appliquer le cours et vérifier si l’on a bien compris. »
Nicole : « Ils font les devoirs donnés par leurs enseignants et apprennent les leçons. S’ils n’ont rien à faire ou vite fini, nous proposons un petit travail ou nous essayons de travailler d’une autre façon : par le jeu notamment, comme les jeux de société pour apprendre à compter, à mémoriser.
Sylviane explique : « Je reçois les personnes en entretien. D’abord pour les connaitre et aussi pour évaluer leur niveau et ensuite les inscrire dans le groupe qui correspond le mieux à leurs besoins et leur niveau. Ils sont au maximum 8 par atelier, l’idéal étant 4 à 6. On a la chance d’avoir 3 sites maintenant, on travaille confortablement. »
Aux ASL, comme à l’école, on travaille parfois en groupe et on procède à une mise en commun ensuite.
Certains Apprenants, dont Bernadeth, utilisent leur téléphone en dehors des ateliers pour approfondir leurs connaissances grammaticales ou rechercher sur internet la prononciation des mots.
C’est également un outil dont se servent les intervenants en atelier : savoir comprendre ou rédiger un message signalant un retard par exemple s’avère très utile. Il s’agit en effet de situations concrètes fréquentes [Note du rédacteur].
Tous s’accordent à dire qu'aller à l’école est une chance.
Ramata pense que « si les gens avaient pu arriver plus tôt dans leur vie en France, ça se serait mieux passé pour eux, ils auraient davantage profité de leur vie » (et seraient allés à l’école).
Bernadeth et Fatima confirment : « C’est essentiel (« obligé ») pour apprendre des choses, notamment à lire et écrire car il faut savoir lire et écrire dans la vie ». Fatima ajoute : « Maintenant je sais aller sur le site de la CAF, je vais chez le médecin seule. Au Maroc, on apprend le français à l’école mais moi je travaillais ».
Ramata : « Tout paraît simple pour une personne qui sait et on oublie les difficultés du début ».
Mayssane se verrait bien professeur pour des adultes mais pense qu’elle n’en aura pas le temps à cause de ses multiples futures activités professionnelles.
[A noter : quelques bénévoles interviennent en plus de leur activité professionnelle, notamment le soir.]